- by Jérémy Felkowski
- 3 novembre 2025
- Portraits
Dans les pas de Gilles Goujon
Dans le creux des montagnes des Corbières, au cœur du petit village audois de Fontjoncouse, la table de l’Auberge du Vieux Puits incarne plus qu’un haut lieu de gastronomie : elle est l’accomplissement d’un rêve obstiné, celui de Gilles Goujon. Ce chef dont l’approche mêle rigueur, terroir et humanité trace une trajectoire qui s’impose désormais comme référence dans la haute cuisine française.
Né le 10 décembre 1961 à Bourges dans le Cher, Gilles Goujon est le fils d’un pilote de chasse. Les affectations successives de son père le mènent de Marrakech au Maroc à l’Allemagne, puis à Metz. Après le décès prématuré de son père, la famille s’installe à Béziers dans l’Hérault. “Peu passionné par les études”, il se tourne naturellement vers le service en salle, devenant serveur avant d’embrasser définitivement la cuisine. En 1977, il débute son apprentissage à la Compagnie du Midi à la gare de Béziers et obtient le titre de « Meilleur apprenti du Languedoc-Roussillon ».
Il passe ensuite par de prestigieuses maisons : au côté de Roger Vergé à « Le Moulin de Mougins », puis comme second de Jean‑Paul Passédat au « Petit Nice », et enfin sous les ordres de Gérard Clor à l’Escale de Carry-le-Rouet. Ces expériences lui forgent une exigence technique et esthétique.
En 1996, il décroche le titre de Meilleur Ouvrier de France (MOF) dans la section cuisine : un jalon décisif qui marque la reconnaissance de ses pairs.
Un site, un pari, une conquête
En 1992, accompagné de son épouse Marie-Christine, il décidé d’installer son propre établissement dans ce village isolé des Corbières. Le maire de Fontjoncouse leur propose alors une ancienne bergerie à transformer : “Nous sommes tombés amoureux du lieu” racontera-t-il dans plusieurs entretiens. Les débuts sont laborieux : peu de clientèle, un lieu perdu dans la garrigue.
Mais Goujon tient bon, adapte, affine, espère. Et peu à peu, ses assiettes parlent – d’abord une étoile au Guide Michelin en 1997, puis la seconde en 2001. Enfin, en 2010, l’Auberge décroche trois étoiles, Gilles Goujon devenant le seul nouveau chef à l’obtenir cette année-là.
À travers cet établissement, il redonne vie à un territoire, valorise les producteurs locaux – de l’olive picholine à la figue, du cochon noir de Bigorre aux gibiers des montagnes – et affirme que la haute cuisine peut s’ancrer dans la réalité du terroir.
Une adresse, un territoire, un rayonnement
L’Auberge du Vieux Puits n’est pas seulement un restaurant d’exception. Elle est devenue un moteur économique et culturel dans les Hautes Corbières. Elle emploie près de 45 salariés – ce qui en fait la plus grande entreprise privée du canton. Sa cuisine puise dans la garrigue, dans l’agriculture locale, dans la chasse et dans les saisons. Le plat-signature, comme l’œuf « pourri » à la truffe, est une ode à l’ingéniosité et à la mémoire du lieu. La consécration internationale ne se fait pas attendre : en 2020, selon les avis clients de la plateforme TripAdvisor, l’Auberge est classée « meilleur restaurant gastronomique du monde ».
Valoriser l’humain, la compétence, la transmission
Au-delà des étoiles, Gilles Goujon met l’accent sur le don des savoir-faire. Il rappelle sans cesse : « Je le répète souvent dans les briefings, soyez des vendeurs de bonheur ». Il n’oublie rien des producteurs, de l’origine du produit, de la main qui le cultive ou l’élève : « L’arrivée du chef a littéralement ressuscité le village et le bonheur des producteurs de toute la région », tissait un article en 2018. Et même confronté aux crises – comme les récents incendies qui ont ravagé l’Aude – il n’a pas esquivé : « Les images que nous avons vues sont apocalyptiques… Il faut vraiment nous aider à reprendre vie. »
Vous souhaitez rendre visite au chef Gilles Goujon et déguster les spécialités de son auberge ? Rendez-vous sur le site de son restaurant.