- by Jérémy Felkowski
- 21 octobre 2025
- Rencontres
Alvar Pina, chef itinérant et esprit libre
Cuisiner et vivre sans entraves… A bien des égards, le parcours d’Alvar Pina est singulier. Citoyen suisse, chef à domicile tombé presque par hasard dans le métier et fervent praticien du kung-fu traditionnel, il porte sur la gastronomie un regard affuté.
Vous vous livrez beaucoup sur les réseaux sociaux. Vous les utilisez pour transmettre un geste, une technique, une notion mais, surtout, le sens de tout cela. Pourquoi ?
Les réseaux me permettent de toucher un public relativement jeune et qui a besoin de ce type d’information. Toutes tranches d’âges confondues, il y a d’immenses lacunes en cuisine sur des basiques et des choses simples. Instagram est essentiellement focalisé sur les recettes, de l’assemblage. Je veux que les gens comprennent le sens de la cuisine et qu’ils puissent appliquer par eux mêmes ces principes.
Quelle recette est la plus difficile à livrer dans de tels contenus ?
La sauce hollandaise ! Il faut réussir à montrer sa difficulté, prévenir que certains critères, comme la température, sont cruciaux dans son exécution. Il faut la tenter une fois, deux fois, se tromper et pouvoir comprendre où l’erreur est intervenue. Globalement, ce sont toujours des essais, des erreurs et de l’apprentissage.
Ces lacunes que vous évoquez, d’où viennent-elles ? Pourquoi a-t-on perdu ce contact élémentaire avec la cuisine du quotidien ?
Les gens veulent manger des choses saines et bonnes. Mais personne ne veut plus cuisiner. Ils veulent que tout aille vite. Or, pour aller vite, il faut maîtriser les bases, les réflexions, les principes et l’organisation. Tout ce qu’on n’enseigne pas aux consommateurs. Quand on vous explique la blanquette de veau, on vous donne les ingrédients et on vous explique « comment » faire. Mais jamais « pourquoi ». Il faut comprendre le processus, les étapes.
A l’image de ce qui est fait dans certains pays du nord de l’Europe, pensez-vous que l’on devrait enseigner les bases de la cuisine et de la nutrition à l’école ?
Non seulement à l’école, mais dès le plus jeune âge. En Suisse, nous avons la chance d’en avoir. J’en au moi-même suivi au stade du collège. On nous y apprenait des choses simples, des recettes de base. C’est une démarche pertinente pour des gens qui vont démarrer dans la vie.
« Les gens veulent manger des choses saines et bonnes. Mais personne ne veut plus cuisiner »
Votre apprentissage de la cuisine, vous l’avez démarré dans la douleur et l’oppression. Vous avez eu le courage de tourner les talons et de vous en libérer. Comment avez vous vécu cette période ?
C’était une période compliquée. J’étais tout jeune, mais malgré cela, j’étais déjà animé d’une force de caractère. Il fallait dire stop, refuser de se faire marcher dessus. Je savais que le métier de cuisinier était dur, mais si je devais en baver, autant le faire avec les meilleurs. Or, là, ce n’était pas le cas. Un second de cuisine au talent limité s’attaquait systématiquement aux autres. L’ambiance était froide, délétère. Je ne voulais plus de ça. Alors je suis parti.
Parti pour ne pas être dégoûté du métier ?
Entre autre, oui.
Auriez-vous un conseil pour les jeunes qui pourraient rencontrer de telles difficultés ?
Si la situation vous touche personnellement, partez. N’ayez pas peur de partir. Ne vous dites pas que l’équipe sera en difficulté si vous vous en allez. Vous êtes apprenti. Vous avez une vie et une carrière devant vous. Un service tendu, ça peut arriver. Mais la répétition de ces brimades, c’est inacceptable.
Cet esprit d’indépendance et de liberté, c’est ce qui vous a conduit vers la cuisine à domicile ?
Ce mode de vie m’apporte une liberté quasi totale. Je peux créer ma propre cuisine. Je ne dépends que de ma vision et si les gens m’engagent, c’est pour tout ça. La liberté, en cuisine et dans la vie en général, c’est crucial pour moi. Cela se ressent aussi dans mes menus.
« Si la situation vous touche personnellement, n’ayez pas peur de partir. »
Justement, comment naissent vos menus ?
De l’inspiration du moment, de l’ambiance, du terroir, des échanges avec mes clients, de la saison. C’est une matière mouvante, la cuisine. Quand j’interviens chez les gens, l’explication de mes plats en est facilitée. Il m’arrive de prendre des risques sur des accords de saveur ou des ingrédients. Mais je reste libre.
Comment parvient-on à l’équilibre économique quand on est chef à domicile en Suisse ?
C’est plus simple pour nous que pour nos confrères qui travaillent en restaurant. Nos charges fixes sont bien moindres. Nous n’avons ni employés ni loyer. Au-delà, nous pouvons davantage investir dans les produits. Ce qui permet, d’office, de nous distinguer. Ajoutez à cela un régime fiscal plus favorable aux entrepreneurs suisses que le système français…
Vous considérez que la cuisine est une forme d’art martial. Une réflexion qui nous replonge à l’époque où vous avez quitté l’Europe pour vous entraîner au temple de Shaolin, en Chine…
J’ai trouvé dans le kung-fu traditionnel une beauté, une maîtrise et une philosophie que je ne trouvais pas dans d’autres pratiques. Après 10 ans d’entraînement en club, il était temps de découvrir le véritable kung-fu à Shaolin. J’y ai trouvé une discipline de fer, une économie de geste, un engagement total auquel je m’identifiais et une forme d’autorité bienveillante chez nos maîtres qui m’a beaucoup touché.
En fin de compte, qu’est ce qui vous a amené à la cuisine ?
Je pense que c’est mon caractère. A l’époque, j’avais de mauvaises fréquentations. J’allais me perdre dans un cursus pour devenir ambulancier. C’est finalement une amie et son père qui ont débloqué la situation. Je savais que j’aimais le concret et que j’aimais, encore plus que cela, cuisiner. J’ai donc candidaté au culot dans deux beaux hôtels et j’y ai fait des stages qui ont été des pièces fondatrices de mon parcours.
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